Histoire

Le pouvoir des sans pouvoir

Chaque acte de liberté, chaque expressions de la “vie dans la vérité” constitue inévitablement une menace pour le régime et un acte politique par excellence.

Si la “vie dans la vérité” est le point de départ qui permet à tout homme de se défendre devant la pression aliénante du système politique, si c’est le principe fondateur de toute activité politique et par conséquent le fondement même de la “dissidence”, on peut difficilement imaginer que le travail des “dissidents” puisse s’appuyer sur autre chose que le service rendu à la vérité, à la vraie vie et à l’ouverture de l’espace des intentions réelles de la vie.

Le pouvoir des sans pouvoir (en tchèque : Moc bezmocných) est un vaste essai politique écrit en octobre 1978 par le dramaturge, dissident politique et futur homme d’État tchèque Václav Havel.

L’essai dissèque la nature des régimes communistes de l’époque, la vie au sein d’un tel régime et la façon dont, par leur nature même, ces régimes peuvent créer des dissidents parmi les citoyens ordinaires. L’essai poursuit en discutant des idées et des actions possibles de communautés peu structurées d’individus liés par une cause commune.

Officiellement interdit, l’essai a circulé sous forme de samizdat et a été traduit en plusieurs langues. Il est devenu un manifeste de la dissidence en Tchécoslovaquie, en Pologne et dans d’autres régimes communistes.

L’essai a été traduit en anglais par Paul Wilson et publié en 1985 et plus récemment en septembre 2021 en français.

Icône de la Révolution de Velours qui a précipité la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie, Vaclav Havel incarne la figure de la dissidence non-violente. Co-auteur de la Charte 77, premier président de la Tchécoslovaquie puis de la République tchèque, il est reconnu pour ses principes moraux.

Le marchand de fruits et légumes de Havel

Havel prend l’exemple d’un marchand de fruits et légumes qui affiche dans son magasin le signe “Travailleurs du monde, unissez-vous !”.

Proletáři všech zemí, spojte se!

Comme le fait de ne pas afficher cette pancarte pourrait être considéré comme un manque de loyauté, il l’affiche et la pancarte devient non pas un symbole de son enthousiasme pour le régime, mais un symbole à la fois de sa soumission au régime et de son humiliation par celui-ci. Havel revient à plusieurs reprises sur ce motif pour montrer les contradictions entre les “intentions de la vie” et les “intentions des systèmes”, c’est-à-dire entre l’individu et l’État, dans une société totalitaire.

L’individu qui vit dans un tel système doit vivre dans le mensonge, pour cacher ce qu’il croit et désire vraiment, et faire ce qu’il doit faire pour être laissé en paix et survivre. Cela est comparable au conte classique des “habits neufs de l’empereur”.

Ils doivent vivre dans le mensonge. Ils n’ont pas besoin d’accepter le mensonge. Il leur suffit d’avoir accepté leur vie avec et dans le mensonge. Car de ce fait même, les individus confirment le système, accomplissent le système, font le système, sont le système.

Les individus à chaque niveau de la bureaucratie doivent afficher leur propre équivalent du signe de l’épicier, “Travailleurs du monde, unissez-vous”, opprimant ceux d’en bas et à leur tour opprimés par ceux d’en haut. À ce mensonge public s’oppose une vie vécue dans la vérité, un titre suggéré par Alexandre Soljenitsyne et son essai “Vivre, mais pas par le mensonge“.

« Et c’est là que se trouve la clé de notre délivrance ; le refus de la participer personnellement au mensonge ! Qu’importe si le mensonge recouvre tout, s’il devient maître de tout, mais soyons intraitables au moins sur ce point : qu’il ne le devienne pas par moi ! »

Alexandre Soljenitsyne.

Havel a affirmé que la restauration d’une société libre ne pouvait se faire qu’à travers un paradigme basé sur l’individu, “l’existence humaine”, et une reconstitution fondamentale du “respect de soi, des autres et de l’univers” ; refuser de donner du pouvoir à des slogans vides et à des rituels sans signification, refuser de permettre au mensonge de s’opprimer soi-même, et refuser de faire partie du mensonge qui opprime les autres. En agissant ainsi, les individus illuminent leur environnement en révélant aux autres qu’ils ont du pouvoir.

Dans le système post-totalitaire, vivre dans la vérité a donc plus qu’une simple dimension existentielle (ramener l’humanité à sa nature intrinsèque), ou une dimension noétique (révéler la réalité telle qu’elle est), ou une dimension morale (donner l’exemple aux autres). Elle a aussi une dimension politique sans ambiguïté. Si le principal pilier du système est de vivre un mensonge, il n’est pas surprenant que la menace fondamentale qui pèse sur lui soit de vivre la vérité. C’est pourquoi elle doit être réprimée plus sévèrement que toute autre chose.

Le pouvoir des sans pouvoirs – Vaclav Havel – Octobre 1978 (chapitre VII)

Livre traduit en français disponible en librairie.

Livre audio en anglais disponible sur youtube .

PDF en anglais : https://www.nonviolent-conflict.org/wp-content/uploads/1979/01/the-power-of-the-powerless.pdf

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