Phénomènes psychogéniques de masse, hystérie collective

Phénomènes psychogéniques de masse, hystérie collective

Phénomène étrange pour lequel une souffrance réelle semble n’avoir aucune cause matérielle, le syndrome psychogénique de masse se caractérise par un ensemble de symptômes physiques et psychologiques partagés par plusieurs patients, sur une période de temps limitée et généralement dans un lieu circonscrit. Ancré dans les croyances populaires sous le nom d’hystérie collective, il n’est pourtant décrit que de manière relativement imprécise dans la littérature.

L’étrangeté du phénomène participe certainement au manque de description cohérente, tandis que les études de cas rapportées sont pourtant nombreuses. Plusieurs facteurs modifient considérablement l’approche clinique et psychopathologique d’un syndrome que l’on préfère parfois taire : plus d’un siècle après les premières observations du pouvoir de l’esprit sur le corps, il nous est encore extrêmement difficile d’accepter l’origine psychologique de signes organiques réels et néanmoins sans cause matérielle. La recherche d’éléments physiques, boucs émissaires, satisfait davantage, non seulement la population, mais également les acteurs médicaux… Sorcières et démons sont plus volontiers remplacés de nos jours par les ondes électromagnétiques, la présence éventuelle d’éléments chimiques toxiques, des particules inconnues qui justifieraient de l’origine environnementale d’une épidémie sans cause apparente.

Caractéristiques psychopathologiques

Une étude de cas d’un syndrome psychogénique de masse(1) , présentée précédemment, décrit les caractéristiques essentielles de ce phénomène.

Similarité de symptômes sur une période restreinte, chez un groupe de personnes.

Plusieurs cas présentant des symptômes similaires sur une période allant de 1 à 30 jours : l’effet suggestif peut être très rapide, et la transmission s’initie alors dès le contact visuel et/ou sonore avec les premiers cas. Si la majorité des phénomènes psychogéniques ne durent que quelques jours(2), plusieurs “épidémies” ont perduré au delà de deux semaines, certaines présentant des périodes de rechutes étalant l’épidémie sur plusieurs mois, d’autres, plus rares, sur des années. Le nombre de victimes peut atteindre plusieurs centaines.

Présence d’un cas index et de cas nodaux

Il existe typiquement un cas index à l’origine de l’épidémie, à partir duquel celle-ci va se propager. Des cas particuliers, notamment des personnes considérées comme leaders sociaux, vont parfois accroître la propagation ou relancer l’épidémie. Ainsi, la « transmission » est d’autant plus aisée que le lien social est fort entre un cas avéré et une future victime.

Sex-ratio et caractéristiques liées à la population.

Les femmes sont plus touchées que les hommes, les enfants et adolescents représentent une population à risque. Il faut noter que dans de nombreux cas, par exemple en milieu scolaire, les adolescents seront victimes du syndrome tandis que les adultes présents ne le seront pas. Les patients stressés(3) ou présentant des troubles psychiatriques ont plus de risques de présenter les symptômes. Le milieu scolaire représente la moitié des cas(4), suivi des usines ou institutions (notamment les milieux hospitaliers), plus rarement le milieu familial.

Etiologie et facteurs déclenchants

L’étiologie est double car elle concerne à la fois les symptômes organiques observables et le phénomène de masse. Les symptômes observables sont régulièrement imputés à des facteurs chimiques, toxiques, parfois par commodité, bien que l’origine environnementale soit très rarement confirmée. La mise en place d’un syndrome psychogénique prend généralement sa source dans un évènement anxiogène déclencheur, comme un conflit sur le lieu de travail, une modification notable et mal vécue de l’environnement social, la perception d’un facteur chimique ou physique jugé dangereux, la simple rumeur d’un facteur de risque potentiel, etc.

Mode de propagation

Visuel et sonore, principalement par suggestion émotionnelle. Une personne a ainsi plus de chance de présenter les symptômes si elle a vu dans son entourage une personne malade, et ce d’autant plus si le lien socio-affectif qui les unit est fort.

Caractéristiques des symptômes physiques

Ceux-ci sont très peu spécifiques (céphalées, nausées, vomissement, rougeurs, démangeaisons…)(5), généralement bénins et déclinent rapidement. Plusieurs études ont montré qu’ils n’apparaissent souvent que sur le lieu de travail : une épidémie dont les nouveaux cas ne s’observent quasiment pas pendant le week-end ou les jours fériés doit être suspectée très tôt de présenter une forte composante psychogène. Les symptômes touchent principalement les sphères digestives, neurologiques et dermatologiques, que l’on sait par ailleurs en lien avec l’état psychologique de l’individu. Malgré les signes physiques, les examens médicaux sont normaux et le personnel médical ne peut généralement pas trouver de cause environnementale satisfaisante.

Sensibilité à l’ampleur donnée au phénomène.

La mobilisation d’effectifs sanitaires et sociaux, des médias, d’acteurs de la sécurité, renforce le phénomène. Certaines épidémies s’éteignent non par la résolution de problèmes sous-jacents mais par la diminution globale de l’intérêt porté aux cas et à la maladie. 

Comment faire face?

L’établissement précoce du diagnostic permet de rapidement dédramatiser la situation, dont les composantes anxiogènes (présence des médias, incertitude quant aux risques pour la santé, mobilisation excessive d’acteurs médicaux et sociaux) amplifient la propagation des symptômes. Lever l’anxiété s’avère donc une priorité. Plusieurs comportements permettent d’atteindre ce but :

  • Conclure rapidement les examens de laboratoires permettant d’exclure tout risque sérieux pour la santé ; communiquer ces conclusions tout aussi rapidement à la population.
  • minimiser l’exposition à la population concernée des services sanitaires et sociaux, des médias ou d’autres facteurs susceptibles d’accroître l’anxiété ambiante.
  • réaffirmer que les rumeurs n’équivalent aucunement à des résultats confirmés, rappeler, s’il y’a, les cas de rémissions.
  • reconnaître la réalité de la maladie mais insister sur la contribution potentielle de sa composante psychologique.
  • Tenter d’éliminer tous les facteurs environnementaux (restaurer la qualité de l’air, changer des matériaux jugés nocifs) provoquant l’inquiétude de la population concernée(6)

L’origine psychologique des symptômes est souvent jugée peu acceptable, à la fois par la population et les professionnels de la santé. On impute régulièrement à un facteur environnemental non déterminant l’origine de la maladie, principalement par le fait que l’hystérie collective souffre d’une connotation fortement péjorative (le “tout est dans la tête”). Réaliser un bilan d’étape régulier de la maladie pour en informer la population, et surtout définir un diagnostic, aident le phénomène à diminuer.

Notes complémentaires

Le syndrome psychogénique de masse ne fait encore l’objet d’aucune description dans le DSM-IV, bien que le phénomène ait été plusieurs fois rapporté, et soit connu tant de la population que des professionnels. Il est par ailleurs noté sous divers noms : Syndrome ou phénomène psychogénique de masse, Hystérie collective, épidémie hystérique, syndrome collectif d’origine psychogène, syndrome du bâtiment malsain (voir ci-après).

Les signes physiques sont réels, de même que la maladie, bien que la cause soit principalement d’origine psychologique. La présence d’un facteur environnemental tel qu’un germe ou une substance toxique n’implique pas qu’il faille rejeter le diagnostic de syndrome psychogénique de masse. 

Bien qu’extrêmement proche, le phénomène psychogénique de masse se différencie du syndrome du bâtiment malsain(7) dont la composante psychogénique est également essentielle. Le syndrome du Bâtiment malsain repose sur l’hypothèse de la perception par les malades de facteurs environnementaux, identifiables ou non, déclenchant ou accroissant la maladie.  Pour les deux syndromes pré-cités, des facteurs comme un environnement clos, mal aéré, ou avec la présence d’une odeur gênante, constituent un facteur de risque reconnu. Généralement, le stress provoqué par ce type d’environnement s’accompagnera d’autres sources anxiogènes comme un management mal avisé ou des problèmes liés au travail et à l’ambiance sur le lieu de ce travail. La frontière est floue mais le terme  “Syndrome de bâtiment malsain” est parfois plus volontiers utilisé, en ce sens qu’il suggère une cause environnementale et donc un diagnostic plus “appréciable”…On retrouve souvent le terme de Sick Building Syndrom dans la littérature anglo-saxonne.


Sources :

(1) Letourneau B., Vérité E., Boone B., Bleuzé V., Pons E. (2002). X-Files syndrome dans un établissement scolaire. BEH, 01 Janvier 2002. 

(2) Bulletin épidémiologique hebdomadaire, numéro 15-16, 24 Avril 2007.  Les syndromes psychogènes : connaissances acquises et études de cas.

(3) Philen R.M., Kilbourne E.M., McKinley T.W., Parrish R.G. (1989). Mass sociogenic illness by proxy : parentally reported epidemic in an elementary school. Lancet, 2 : 1372-6.

(4) Boss L.P. (1997). Epidemic hysteria : a review of the published literature. Epidemiol Rev 1997 n°19, p233-43.

(5) Jones T.F. (2000). Mass Psychogenic Illness : Role of the individual Physician. AAFP, 15 Juin 2000, available online.

(6) Bentz M., Benmansour E.H., Pradier C., (2006). Epidémie de malaises survenus dans un hôpital : une enquète qualitative.  Santé Publique, 2006, n°18 ; p55-62

(7) French institute of Public health Surveillance (2008). Sick Building Syndrom or Mass Pychogenic Illness : a difficult differential diagnosis. Annual Report 2007.

http://www.psychoweb.fr/articles/psychopathologie/562-phenomenes-psychogeniques-de-masse-hysterie-colle.html